"Considérons l'exemple sur lequel ont toujours insisté les avocats de la finalité : la structure de l'oeil humain. Ils n'ont pas eu de peine à montrer que dans cet appareil si compliqué, tous les éléments sont merveilleusement coordonnés les uns aux autres. Pour que la vision s'opère... il faut que la sclérotique devienne transparente en un point de sa surface, afin de permettre aux rayons lumineux de la traverser... Il faut que derrière cette ouverture transparente se trouvent des milieux convergents... Tout paraît merveilleux, en effet, si l'on considère un oeil tel que le nôtre, où des milliers d'élements sont coordonnés à l'unité de la fonction. Mais il faudrait prendre la fonction à son origine, chez l'infusoire, alors qu'elle se réduit à la simple impressionnabilité d'une tache de pigment à la lumière. Cette fonction qui n'était qu'un fait accidentel au début, a pu, soit par un mécanisme inconnu, soit par le seul effet des avantages qu'elle procurait à l'être vivant et de la prise qu'elle offrait ainsi à la sélection naturelle, amener une complication légère de l'organe... Ainsi, par une série indéfinie d'actions et de réactions entre la fonction et l'organe, et sans faire intervenir une cause extra-mécanique, on expliquerait la formation progressive d'un oeil aussi bien combiné que le nôtre."
Henri BERGSON (1907), l'évolution créatrice, Alcan, 1923, p.66.