Cluses armoricaines

De Pré-en-Pail à Mortain

La moitié occidentale du département de l’Orne fait partie du Massif Armoricain. Celui-ci est un massif ancien comme le Massif Central et les Vosges. Contrairement aux Alpes dont le plissement n’est pas terminé, ces massifs anciens ont été plissés pendant le Paléozoïque (Ère Primaire), il y a environ 300 millions d’années. Ce plissement est appelé hercynien ou varisque, termes formés à partir de dénominations anciennes de régions allemandes concernées aussi par ce plissement.


1 - Carte géologique du Massif Armoricain (d’après Géoportail)

Bien sûr, le plissement hercynien qui a eu lieu au Carbonifère (300 MA environ) n’a pu affecter que les roches qui se sont formées avant. Dans le département de l’Orne, les plis hercyniens contiennent essentiellement des roches de l’Ordovicien (grès Armoricain 470 MA). Pour mémoire, voici la chronologie succincte de l’Ère Primaire (de plus ancien au plus récent) : Cambrien, Ordovicien, Silurien, Dévonien, Carbonifère, Permien.

Une carte du relief du Massif Armoricain permet de constater que les crêtes armoricaines sont orientées est-ouest, comme les structures géologiques.
Nous allons suivre l’une d’elles, depuis Pré-en-Pail jusqu’à Mortain. Si ces 2 villes sont hors-département, l’essentiel de la crête est dans le département de l’Orne.

Intéressons-nous au comportement du réseau hydrographique en rapport avec le relief. La loi naturelle du moindre effort veut que les voies de communication et les cours d’eau soient orientés parallèlement aux crêtes et non pas perpendiculairement. Dans la réalité, les deux existent. On se demande comment les cours d’eau de la Vée à Bagnoles-de-l’Orne, de la Gourbe dans les gorges de Villiers, et d’autres, ont pu traverser « à l’emporte-pièce » la crête armoricaine, c’est-à-dire franchir la barre de quartzite ordovicien (populairement appelé « Grès Armoricain ») qui est la roche la plus dure que l’on connaisse chez nous. Lorsqu’un cours d’eau traverse ainsi à la perpendiculaire un pli, les gorges qui en résultent sont appelées « cluses ». Une cluse est désignée par le cours d’eau qui l’a formée. Ainsi, parle-t-on de la cluse de la Vée à Bagnoles-de-l’Orne et de la cluse de la Gourbe dans les gorges de Villiers.


2 - Relief et réseau hydrographique (document Géoportail)

Entre Pré-en-Pail et Mortain, le réseau hydrographique franchit la crête à 9 endroits.
Les rivières concernées sont : 1) Le Tilleul en forêt de Monnaie, 2) La Gourbe dans les gorges de Villiers,3) La Maure dans la vallée de la Cour, 4) La Vée à Bagnoles-de-l'Orne, 5) un ruisseau entre Perrou et Domfront, 6) La Varenne à Domfront, 7) La Sonce à la Fosse Arthour, 8) La Meude, 9) La Cance à Mortain.


3 - Les 9 cluses armoricaines (d’après Géoportail)


4 - Cluses de la Gourbe et de la Maure (d’après Géoportail)

La structure géologique des Gorges de Villiers : Villiers est un hameau situé entre Saint-Ouen-le-Brisoult et Saint-Patrice-du-Désert sur du granite. Dans la ferme, il est possible d’en voir l’affleurement. Mais la géologie qui nous intéresse ici est située juste au nord dans les gorges de Villiers. La Gourbe qui coule du nord vers le sud permet de voir une alternance de grès et de schistes. Les différences de dureté entre les grès et les schistes expliquent le relief. Les zones en relief sont les affleurements de « Grès Armoricain » et de « grès de May » plus durs. Ces deux roches forment les deux crêtes parallèles que l’on peut suivre depuis Pré-en-Pail jusqu’à Mortain. Voilà pour le relief, mais qu’en est-il de la disposition de ces roches sédimentaires en dessous ? La carte géologique donne l’inclinaison des couches grâce à un symbole en forme de T associé à un nombre exprimé en degrés par rapport à l’horizontale, par exemple 25. Ce symbole T est orienté par exemple ici vers le nord-est. Cela veut dire que la couche géologique, à cet endroit, penche à 25° vers le nord-est.


5 - Carte géologique des Gorges de Villiers (document Géoportail)


6 - Cluse de La Gourbe près de Villiers

Sur la carte géologique et sur le terrain, il est assez difficile de montrer que la structure est synclinale (un synclinal a la forme d’une gouttière, contrairement à l’anticlinal). En effet, en Andaines, seul le flanc sud (donc incliné vers le nord) fait surface. Le flanc nord reste plus ou moins caché, comme le montre la coupe extraite de la carte géologique de Domfront. Cette coupe montre bien la dissymétrie nord-sud. Elle nous apprend aussi que le plissement n’a pu avoir lieu avant le Silurien puisque la couche silurienne O6-S1 est plissée. Par ailleurs, la carte d’Alençon montre des grès dévoniens (390 MA) également plissés. On sait que le plissement hercynien s’est effectué entre 350 et 250 MA.


7 - Coupe géologique du synclinal d’Andaines

Pendage : La crête d’Andaines est constituée essentiellement de Grès Armoricain à « pendage » vers le nord. Le pendage, c’est l’inclinaison des couches géologiques. Pour le caractériser, il faut deux valeurs : 1) l’angle que fait la couche avec l’horizontale et 2) l’orientation par rapport au nord. Par exemple, on écrira « 25°N45 ». Pour connaître l’angle avec l’horizontale, il faut considérer les 3 dimensions de l’espace et pas se contenter d’un front de carrière qui ne donne que 2 dimensions sur les 3. Ainsi, le pendage apparent peut être différent du pendage réel. Il faut donc prendre la surface d’une couche suffisamment grande, y poser une bille et considérer la direction qu’elle prend. Ensuite avec un clinomètre on mesure l’angle et enfin avec une boussole on estime l’orientation par rapport au nord.


8 - Clinomètre

Il est possible de fabriquer soi-même un clinomètre. Il faut découper une planche rectangulaire de contreplaqué. À partir du milieu du plus petit côté où l’on aura placé un clou, tracer des angles de 10° en 10°, comme sur la photo. Enfin, accrocher un fil à plomb au clou.


9 - Utilisation du clinomètre à Bagnoles-de-l’Orne à la surface d’une strate de Grès Armoricain

Avec cet instrument rudimentaire, le géologue amateur pourra l’utiliser partout où il y a des affleurements de roches sédimentaires (donc stratifiées). Bien sûr, il ne sera d’aucune utilité dans les massifs granitiques qui, eux, ne présentent pas de stratification.


10 - Comment connaître l’épaisseur d’une couche

Avec un clinomètre, il est possible d’aller plus loin encore dans la connaissance des structures géologiques : connaître l’épaisseur des couches. Pour cela, il faut prendre la carte géologique et retrouver son manuel de mathématiques au chapitre « trigonométrie ». Sur la carte, il est facile de mesurer avec un double décimètre, la largeur de l’affleurement d’une couche ; multiplier par 50 000, puisque les cartes géologiques sont au 1/50000e. Les mathématiciens savent qu’avec 2 angles et 1 côté, on peut connaître la longueur des 2 autres.
La formule à utiliser est la suivante : e = a.sin(angle) où « e » est l’épaisseur, « a » la largeur de l'affleurement et « angle » le pendage. À Bagnoles-de-l’Orne, la largeur de l’affleurement est de 1 cm sur la carte, soit 500 m sur le terrain et le pendage est de 20°. Sachant que sin(20°) = 0,342, e = 500 m x 0,342 = 171 m.

Le site de Bagnoles-de-l’Orne est particulièrement intéressant pour comprendre ce qu’est le pendage. En effet, il y est facile à mesurer, car nous avons une « surface structurale » (C’est-à-dire une surface topographique qui correspond à la surface d’une couche). Nous disposons donc d’une vision des strates sur 3 dimensions. Cet endroit se trouve derrière le Centre d’Animation. On peut y poser le clinomètre sur la surface de la couche parmi les pistes de trilobites.


11 - Surface structurale derrière le Centre d’Animation

Bagnoles-de-l’Orne et les Gorges de Villiers ont la même structure que les autres cluses : même pendage vers le nord ; mêmes couches géologiques impliquées, notamment le Grès Armoricain ; même vallée encaissée orientée nord-sud. Les Gorges de Villiers comme Bagnoles-de-l’Orne présentent le même thermalisme. En effet on trouve aussi, dans la cluse de la Gourbe, une source chaude, mais non exploitée et donc dans un cadre plus sauvage.


12 - Chaude-Fontaine, source thermale dans les Gorges de Villiers

Bibliographie :
1) Cartes géologiques du BRGM : Domfront n° 249, La Ferté-Macé n° 250 ;
2) Francis DORÉ, Normandie, Guides géologiques, Masson, 1977 ;
3) Christiane SABOURAUD, Guide géologique de la France, Belin, 2008 ;
4) Alain FOUCAULT, Dictionnaire de géologie, Masson, 1980 ;
5) Charles FRANKEL, Terre de France, une histoire de 500 millions d’années, Seuil, 2007.

Wébographie :
Lithothèque normande :
http://www.etab.ac-caen.fr/discip/geologie/introduc/excursi8.htm ;
http://www.etab.ac-caen.fr/discip/geologie/paleozoi/GorgesVilliers/index.htm
La cluse de Domfront :
https://sciences-paysages.fr/geologie-regionale/normandie/orne/domfront.html

Coin technique