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Discours préparé par un sexagénaire à l'occasion de son départ à la retraite
papy

(Nous sommes en 2010)

60 ans c'est l'âge où le passé est plus long que le futur. Cela tombe bien, puisqu'à cet âge la mémoire à long terme est plus stable que la mémoire à court terme.

J'ai décidé de ne pas obtempérer au "travailler plus pour gagner plus". Cela tombe bien finalement. Cela permettra, grâce à une baisse de revenu, de polluer moins la planète. Je voulais permettre l'emploi correspondant d'un jeune :-( .

Mémoire sélective aidant, j'ai bien conscience d'être un privilégié et d'avoir bénéficié d'une fenêtre météo favorable dans le ciel de la Normandie entre 1950 et 2010 ; après on sait pas ! Je n'ai pas connu la seconde guerre mondiale, en 1944 je n'étais pas encore né comme dirait le calmar. En 1950, j'ai passé ma jeunesse au début des "trente glorieuses", mais sans le savoir, car à cette époque j'accompagnais mon père paysan dans les très petits champs du bocage normand. En 1960, j'étais trop jeune pour l'Algérie. En 2010, trop vieux pour "bénéficier" du report de l'âge de la retraite. Peut-être qu'un jour on interdira à toute personne en bonne santé de partir en retraite. Ainsi, comme dans les prisons, seuls les détenus gravement malades seront libérés.

Au cours de ma vie professionnelle, j'ai pu travailler sereinement et même joyeusement, condition selon moi indispensable… déplorant que "le collège ce soit juste un mauvais moment à passer" comme l'a exprimé un jour un élève. Je suis fier d'avoir produit un texte sur l'utilisation du dessin humoristique à l'école (pdf direct). Le bonheur d'apprendre plutôt que la contrainte d'apprendre. Choisis un métier qui te plaise et tu n'auras pas l'impression de travailler a dit, en substance, Confucius. Luc Ferry a dit récemment à peu près la même chose : "j'ai choisi le métier d'écrivain pour ne pas travailler, aujourd'hui je travaille 12 heures pas jour".

J'ai des anecdotes et des souvenirs plaisants :
1) Un jour, en rentrant dans le labo de SVT, j'ai vu une chouette hulotte perchée en haut d'une armoire à côté d'une de ses congénères… empaillée ! Elle était entrée (pas l'empaillée mais l'autre) par une bouche d'aération et n'avait pas retrouvé la sortie.
2 ) Un autre jour de fin décembre, étudiant une haie en bordure de Sarthe, mes lunettes ont accroché un barbelé et sont tombées dans l'eau. Ayant estimé la profondeur avec un bâton, j'ai enlevé mes chaussures et ainsi les corpuscules tactiles de la plante de mes pieds ont retrouvé mes indispensables lunettes.
3) Lors d'une sortie naturaliste avec des instituteurs, nous avions entrepris de profiter d'un magnifique panorama tout en pique-niquant. Nous n'avions pas lu la pancarte annonçant "Pique-nique interdit". Le propriétaire : "Alors, vous ne savez pas lire ! Et d'abord vous faites quoi comme métier ?" Un instituteur a eu cette magnifique réplique : "On apprend à lire".
4) Résilience : Un élève eût un jour une punition qui consistait à écrire 50 phrases différentes au passé simple. Je lui ai dit : "Si tu veux, ta punition peut devenir plaisante : Je vais d'aider à y faire des jeux de mots". Ex : "Nous nous plûmes, dit le coq à la poule", "vous passâtes avec une volkswagen", "Je crus que le fruit était cuit." etc... C'est la seule fois où j'ai aidé un élève à faire une punition. Malheureusement, je crois que le professeur qui aurait pu se marrer, n'a pas lu le texte remis. Nous, on s'est bien marré !

Tout cela pour dire que travailler plaisamment est une chance, mais hélas, je crains qu'on aille vers toujours plus de contraintes, de stress, de concurrence, de travail constamment ponctué d'évaluations incessantes... un travail plus stressant et... plus long. :-(

PS : Les décideurs, qui pensent plus à l'argent qu'au bonheur, voulaient que je diffère mon départ à la retraite.

Texte publié avec l'aimable autorisation de son auteur.

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